Le mensonge

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« Je m’appelle Roméo Capone et je suis l’arrière petit-fils d’Al Capone.

— Menteur ! » fut le seul commentaire que lui attira cette déclaration d’état civil assez peu vraisemblable.

 

Et c’était vrai qu’il mentait.

 

Il avait toujours menti ! Il s’appelait en fait Laurent Fernandez. Il prétendait avoir dix ans alors qu’il n’en avait que huit. Si vous lui demandiez ce que faisaient ses parents, il répondait que son père était policer et sa mère caissière, alors que son père exerçait l’honorable profession de médecin et que sa mère enseignait les maths dans un lycée très bien fréquenté. Il racontait qu’il avait deux chiens, un cheval, un perroquet, trois frères et trois sœurs, alors que le seul animal de la maison était une petite chatte qui répondait au doux (mais un peu niais) prénom de Pouffinette. Quand on lui demandait s’il avait des devoirs, il répondait que le maître avait manqué, qu’on avait mis à sa place une remplaçante et que les remplaçantes, c’était bien connu, ne donnaient jamais de devoirs. En somme, Laurent était un gros menteur, il avait tellement menti tout au long de sa vie que plus personne ne le croyait ; on n’osait même plus lui demander l’heure.

 

Il ouvrit la porte de la cuisine, comme il le faisait chaque soir quand il rentrait de l’école, et il appela sa mère. Aucune réponse. « Elle doit être chez la voisine. » Il prit un généreux goûter dans le frigo et monta dans sa chambre, où il resta collé devant son PC jusqu’au soir. La faim le fit sortir de sa tanière et se diriger à nouveau vers le frigo nourricier. Toujours personne, c’était un peu étrange. Il se fit un plateau-repas copieux, qu’il engloutit voluptueusement devant la télévision de sa chambre, puis il finit par s’endormir en pensant vaguement que ses parents étaient vraiment culottés de le laisser seul sans un mot d’explication.

 

Au matin, il descendit pour le petit-déjeuner ; toujours personne ! Il fut pris d’une angoisse telle qu’il se mit à pleurer comme un veau. Il avala à contrecœur deux livres de méga-hyper cornes flaques survitaminées arrosées d’un litre de lait et d’un litre de jus d’orange garanti sans OGM. Enfin, anéanti par l’angoisse et le chagrin, il sortit dans l’avenue à la recherche des gens perdus. Mais, peine perdue aussi, les rues étaient aussi désertiques que le Sahara et le Kalahari réunis ; pas un chat ! Pas l’ombre d’un chat ! Pas même l’ombre de l’ombre d’un chat. Tout était calme et triste comme un thé au château de Windsor. En proie au plus noir des désespoirs, il déambula jusqu’au parc, y entra et se dirigea vers la fontaine monumentale qui marquait la jonction entre l’allée à la française et le jardin à l’anglaise. Cette fontaine était un très grand escalier de marbre sur lequel l’eau cascadait agréablement. Il s’assit sur la margelle de la fontaine et se remit à pleurer comme une fontaine aussi.

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