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« Tu te nourris vraiment en dépit du bon sens ; tu finiras par attraper le diabète ou la gastro-entérite. »
C’était la petite Voix qui était revenue et qui s’amusait à parler comme sa mamie.
« Je mange toutes ces cochonneries parce que personne ne s’occupe de moi. Bien heureux encore que ce frigo soit toujours approvisionné.
— Justement ! Tu ne trouves pas curieux que, la maison étant vide, le frigo soit plein ?
— Je n’y avais pas pensé, mais c’est juste. Comment se fait-ce ? interrogea Lolo.
— Sot de chez Sot ! Figure-toi que la vie continue, ici ; tes parents sont toujours là, mais tu ne les vois pas, et eux non plus ne te voient pas. Quand on ment aux gens, on fait comme si on les effaçait ; ils n’existent plus pour celui qui ment, et peu à peu le menteur finit lui aussi par s’effacer et disparaître.
— Comme ils doivent être malheureux, sans moi ! se lamenta l’égoïste.
— Pas du tout ! Ils t’on effacé aussi de leur mémoire. C’est comme si tu n’avais jamais existé, puisque le monde dans lequel tu vis n’a jamais existé non plus. Juste retour des choses, après tout, triompha la Voix.
— Quelle horreur ! Moi ? Effacé de leur mémoire ? Renvoyé au néant ? Pulvérisé ? C’est trop atroce ! »
Fou de douleur, il ingurgita un quatrième éclair. Au café. Il grimaça.
« Mais que faire alors ? Quelle est la solution ? Reverrai-je un beau jour le rivage adoré où l’auteur de mes jours fut hélas égaré ? blablata le poète en herbe.
— Je crois que c’est toi qui t’égares, mon lapin. Comme tu m’es sympathique, je vais t’aider un peu. Tu vois le moulin à café, là-haut ?
— Oui ?
— Prends-le. »
Ce qu’il fit.
« Si tu veux faire réapparaître les gens, il te faut utiliser ce moulin magique.
— C’est pas un moulin magique, c’est le vieux moulin à café de grand-mère.
— Il suffit ! C’est moi qui dis ! Donc, tu prends le vieux moulin à café et tu donnes trois tours dans la pièce où se trouvent les gens que tu veux voir, tout en prononçant la formule : T’as pas, t’as pas, t’as pas tout dit, t’as des doutes et tu dis pas tout et t’es fini.
« Et puis?
— Et puis la pièce s’emplira de poudre de perlimpinpin et tu auras quelques instants pour rétablir la vérité.
— Génial !
— Oui, comme tu dis… Juste une dernière chose, un détail, rien du tout : il faut alimenter le moulin. Quel est l’objet que tu aimes le plus ?
— Ma collection de cochons en porcelaine, pourquoi ?
— Tu vas prendre ton cochon préféré, le détruire à coups de marteau et placer les débris dans le réservoir du moulin à café.
— Quoi ? Mes cochons ? Ça va pas non ? s’insurgea le petit menteur.
— C’est le seul moyen… À toi de voir. »
Mortifié mais décidé, Laurent prit un gros marteau et se dirigea vers la vitrine aux cochons, il prit son préféré, Mortimer, le plaça sur son bureau, ferma les yeux et donna un colossal coup de marteau à l’innocente bestiole de porcelaine, qui explosa en trois morceaux d’inégale grandeur. Alors il s’acharna de tout son être sur les bouts de porc, grisé par sa propre violence et pensant que ses parents valaient bien un cochon, fût-il de porcelaine précieuse.
Il bourra le moulin jusqu’à la gueule et descendit de suite au salon, où ses parents devaient jouer aux sept familles comme ils en avaient l’habitude le jeudi. On était un jeudi, bien sûr. Il donna trois tours au moulin, prononça la formule magique : TA PA TA PA TA PA TOU DI TADÉDOUTÉTUDIPATOU ÉTÉ FINI.
Et aussitôt apparut l’espiègle Mme Fuchs, la voisine, qui lui dit :
« Tiens, Lolo ? Tu es revenu ? Mais où étais-tu ?
— J’avais disparu parce que je racontais trop de mensonges.
— Toi, alors ! Quelle imagination, s’esclaffa la voisine.
— Mais où sont mes parents ? s’inquiéta Laurent.
— Ben, là ! Tu te moques de moi ou quoi ? »
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